Vladimír Merta : l’indice d’incertitude comme posture esthétique

Tina BARNEY tisse des liens au jeu de Paume

Tout ce qui peut arriver arrivera + Tout ce qui ne peut pas arriver arrivera = Rien n’est totalement stable. » Cette équation poétique et spéculative, aux allures de devise cosmique, donne son titre à l’exposition Indice d’incertitude de Mars, la première exposition personnelle de Vladimír Merta à la galerie Pragovka. Un paradoxe en soi : après treize ans de présence assidue et discrète au sein de la galerie, l’artiste résident le plus chevronné de Pragovka accède enfin à cet espace comme auteur à part entière. L’attente, si longue fût-elle, valait d’être vécue.

Merta, figure singulière de la scène artistique tchèque depuis les années 1980, est ce que l’on pourrait appeler un artiste intermédia — non pas par effet de mode, mais par nécessité intérieure. Peintre, sculpteur, performeur, penseur, enseignant : son œuvre traverse les genres et les matériaux, mais conserve une constance dans la recherche — celle d’un langage plastique capable de contenir, voire de canaliser, l’instabilité ontologique du monde.

Les deux séries présentées ici, Le Grand Scandale de l’Énergie (2023) et Les Origines de l’Extraterrestre (2020), constituent l’aboutissement d’un cycle de maturation artistique mené dans le secret de son atelier à Pragovka. La première, héritière directe du Grand Scandale Financier (1992), prolonge une critique acide du capitalisme post-socialiste par le biais d’un geste pictural à l’encaustique, technique ancienne ici sublimée en outil d’analyse énergétique et spirituelle. La seconde, plus expérimentale dans sa facture, ouvre la voie à une mythologie cosmique où panspermie, trous noirs et archétypes glissent avec légèreté vers l’absurde, sans jamais s’éloigner d’un questionnement essentiel sur les origines, les formes et les genres.

Depuis les années 1980, Merta n’a cessé de remettre en jeu les termes de sa propre pratique. De ses actions de land art aux titres évocateurs — Il s’est passé quelque chose (1981), Processus interrompu (1982) — à ses objets-concepts et installations immersives des années 1990 (Géométrie Publique, 1994), en passant par ses Peintures peintes par le vent, il développe une œuvre ancrée dans une temporalité méditative, où chaque série naît d’un processus lent, profond, presque organique.

Mais réduire Merta à un plasticien aux multiples talents serait passer à côté de l’essentiel : il est, fondamentalement, un peintre existentialiste. Non pas dans la tradition dramatique de l’existentialisme occidental, mais dans une posture de lucidité orientale, où chaque geste, chaque image, chaque matière est déposée dans le silence du doute, dans la lenteur du devenir. Dans cette approche, le tableau devient une matrice d’attention, un espace d’émergence du sens, parfois fragile, toujours instable.

Cette instabilité — revendiquée, travaillée, revendiquée à nouveau — est précisément ce que Indice d’incertitude de Mars donne à voir. Le carburant s’épuise, la flamme vacille, et dans la nuit qui suit l’épuisement surgissent des visions absurdes et sublimes : des arcs-en-ciel expulsés par des trous noirs, une mariée dévorant des copeaux de couleur, des nains rouges brodant des slogans post-genrés… L’imaginaire de Merta flirte avec la poésie spéculative, mais toujours pour mieux revenir au monde, à ses dérives, à ses beautés contradictoires.

Engagé sans être didactique, métaphysique sans ésotérisme, l’artiste capte les tensions de notre époque par la métaphore et la matière, par l’humour et le doute. Il manie les paradoxes comme un sculpteur taille dans le granit — avec précision, patience, et une forme de tendresse.


Vladimír Merta (1957) est diplômé de l’Académie des beaux-arts de Prague. Artiste, enseignant et commissaire, il a cofondé le studio Environnement à Brno et dirige aujourd’hui le studio Nouveaux Médias à l’université de Pilsen. Son travail dialogue avec les sciences naturelles, l’archéologie, la géologie, le son. Il a exposé en République tchèque et à l’international, et ses œuvres figurent dans de nombreuses collections publiques et privées. Il vit et travaille à Pragovka, lieu de gestation de ses dernières séries, marquées par la fusion du politique, du poétique et du cosmique. x.pragovka.com